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Jean-Michel Caradec* - Caradec en liesse


Un jubilé de Caradec ça sent bon le varech du Finistère et le maïs grillé de la Louisiane... La Bretagne et le Far West y font ensemble une « jam » de plus de deux heures... Chaque soir, c'est le grand jamboree des amitiés. Jean-Michel Caradec, notre troubadour d'Armorique, y reçoit ses complices du country, ses aminches du folk. Une veillée sans apprêt, sans chichi, avec Jack Treese au banjo, Richard Prézelin maître-guitariste et Roger Mason qui détaille le folklore acadien avec bonhomie et accords cocasses. Le public détendu reprend les refrains à deux mains, comme autour d'un feu de camp quelque part dans les prairies de l'Arkansas… On est en famille, à l'aise, de retour au bon vieux temps des hootenanies. À peine remarque-t-on une sono quelque peu agressive… En seconde partie, Caradec rejoint ses hôtes, apporte son charme fragile, sa couleur « écolo » et sa dégaine atta­chante… Pantalon de cuir noir, baskets, coiffure afro, barbe abandon­née, guitare en bandoulière, harmonica autour du cou, le fantôme de Dylan frappe trois fois en coulisses. « Ma petite fille de rêve», «la Colline aux Corallines », c'était hier, des ballades éthérées écrites avec une transparence désarçonnante en lisière parfois d'un simplisme bien innocent, autant de mélodies candides qui égayaient les réfectoires des patronages. Aujourd'hui, la tonalité s'est faite plus cal­leuse, plus ferme, et si Caradec croit toujours aux tendrons modèles et aux trésors enfouis dans les linges de l' enfance, il montre les crocs devant les nuages atomiques et tous les oiseaux morts avec du gou­dron plein les plumes. Il a de la mer plein la tête, des pavillons de cor­saires au fond des yeux ; sur scène, il ressemble à un grand cormoran bancal qui chercherait les courants chauds. Il accorde longuement sa guitare en souriant, rappelant que Dylan lors de son dernier passage à l'Olympia s'était livré à ce même exercice pendant un bon quart d'heure…­ Toujours cette référence au mythe du Middle West, jusqu'à cette manière nasale de s'attarder sur les dernières syllabes.­ Ah ! si Caradec pouvait congédier ce grand frère qui sommeille en lui et qui fredonne toujours « Blowin'in the Wind » avant d'écrire ses propres textes. Sûr qu'il y gagnerait. Reste une authentique fraîcheur, mono­corde, incorruptible aux engouements du jour, une exaltation d'ado­lescent qui s'affirme comme le pendant pastoral au spleen urbain d'un Souchon. Caradec, obstinément, veut faire chaque jour la fête, même s'il sait que le napalm et le mazout font parfois d'étranges confettis et serpentins. Une dernière gigue, un ultime hommage à Woody Guthrie, et le voilà qui s'esquive, un sourire mélancolique flottant sur ses lèvres, comme un long blues obsédant…
* 1946 -1981


Patrice Delbourg